RETOUR AUX SOURCES DU GOSPEL

 

Le Negro Spiritual est un type de musique vocale et sacrée développé par les esclaves noirs arrivés aux États-Unis dès le début du 17ème siècle (les premiers africains arrivent en Virginie en 1619) et qui prend son essor au cours du 18ème (avec l'intensification de la traite des noirs et de l'importation des esclaves).

Ce registre musical repose sur les techniques et la culture musicales africaines (particulièrement celles des peuples de l'ouest de l'Afrique, des zones de savanes situées entre le Sénégal et l'Angola actuelle). Les principaux aspects de cette tradition sont les suivants :

  Les chants sont associés aux danses et se pratiquent en communauté

 La musique a pour fonction essentielle de marquer chaque événement de la vie (naissances, funérailles, commémorations guerrières, religieuses, etc.)

  Les rythmes sont plus importants que la mélodie, on parle de polyrythmie c'est-à-dire superposition harmonieuse de rythmes différents

 Un soliste ou un groupe de chanteurs improvise des couplets et un chœur y répond par des refrains répétitifs. C'est ce qu'on appelle le canevas appel-réponse (le « lining out » ou « call and response » en anglais)

 Les chanteurs utilisent des effets spéciaux vocaux tels les soupirs, les grognements, les falsettos (ou voix de fausset qui est une technique vocale consistant pour des chanteurs à émettre des sons aigus en voix de tête), les onomatopées (scat), les bruits de gorges, etc. …

 Les gammes africaines (les gammes sont des ensembles de sons musicaux) sont le plus souvent pentatoniques donc constituées de 5 hauteurs de sons différents à la différence des gammes occidentales qui sont, elles, diatoniques ce qui signifie avec 7 niveaux de sons. « Blues »).

 Enfin les textes africains sont remplis de métaphores, d'images poétiques et ésotériques (relevant du magique) et de paroles à double sens. Cette tradition verbale trouvera dans les écrits bibliques un prolongement opportun et fertile.

 

Ces fondements de la culture africaine vont alors se combiner à ceux de la culture occidentale tant d'un point de vue musical que religieux. Au niveau musical, la différence de structure d'intervalle de sons entre les gammes pentatoniques africaines et celles diatoniques occidentales va amener progressivement les descendants des esclaves à combiner des aspects de leur technique musicale d'origine avec celles des occidentaux (et notamment avec les hymnes religieux qui sont depuis des années composés et interprétés dans les temples protestants majoritairement constitués de populations blanches). Ils vont ainsi adopter des notes qui n'existaient pas dans leur gamme en les adaptant à leur musicalité et notamment en les « bémolisant » (en diminuant d'un demi ton la valeur de la note d'origine). Ces notes altérées dites « notes bleues » (blues notes) prendront alors un aspect plus grave et mélancolique, aspect qui fera aussi la spécificité des negro-spirituals et plus largement du gospel.

 

Les negro-spirituals, ces cantiques spirituels (inspirés par Dieu) vont aussi devenir des chants illustrant le vécu des esclaves africains et de leurs descendants. Ils seront l'exutoire privilégié de leurs interprètes face à l'oppression. En effet, la lenteur de leur rythme, la structure en questions-réponses, leurs textes à double lecture, en font des modes d'expression parfaitement adaptés aussi bien au dur travail dans les champs (ces chants permettent de supporter la dureté de la condition d'esclave et du labeur agricole), qu'à l'expression religieuse développées dans les offices du dimanche ou dans les « gospels camps » (ces morceaux permettent alors d'unifier la communauté autour de cérémonies religieuses spirituellement inspirées et émotionnellement libératrices).

 

Les negro-spirituals puisent dans l'ancien testament les récits, les textes, les exemples qui reflètent les conditions de vie des « déracinés », leurs souffrances et leurs attentes d'un avenir meilleur. Ils deviennent une libre interprétation des épisodes bibliques, des textes sacrés qui vont servir à la fois de miroir existentiel et de parabole quasi politique (ce qui ne peut être ouvertement exprimé à l'époque va être suggéré ou sous-entendu par le codage des textes bibliques).

 

En résumé les négro spirituals sont le résultat d'un syncrétisme religieux et culturel ce qui signifie qu'ils résultent d'une combinaison, d'une conciliation, d'une fusion entre diverses sources, diverses influences qui ont été associées spontanément ou volontairement au cours du temps et dans un cadre historique et social propice à cette fusion (les phénomènes migratoires massifs provoquent souvent une nécessaire réinterprétation des caractéristiques culturelles dominantes et une adaptation de celles d'origine). On peut dire que l'émergence d'une forme culturelle nouvelle a résulté de la confrontation tantôt chaotique, tantôt douloureuse mais au final heureuse, de modes musicaux, intellectuels et religieux profondément différents.

 

Cette nouvelle forme musicale donnera naissances à plusieurs milliers de chants que les musicologues américains vont commencer à répertorier et retranscrire pendant la seconde moitié du 19ème siècle. Ce n'est qu'en 1861 que le journal le New York Times va publier pour la première fois un des titres le plus emblématique du Negro Spiritual « Let My people go ! ». Le succès sera immédiat. Dix ans plus tard, en 1871, les Fisk Jubilee Singers, un groupe constitué d'anciens esclaves (l'esclavage est aboli en 1865 aux États-Unis), interprète pour la première fois devant un public conquis un répertoire vibrant qui va en quelques années conquérir l'Amérique et le monde et inspirer les styles musicaux les plus populaires du 20ème siècle depuis la Soul, en passant par le Jazz, le Blues ou encore le Rn'B.

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